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Le mal développement (1)

Le mal développement algérien

Par Ammar Koroghli

In Le Matin du 23 juin 2004


En ma qualité de citoyen algérien, je propose ci-après à mes compatriotes une analyse en cinq volets des idées politiques et des faits économiques de l'Algérie depuis l'indépendance. Cette analyse montre les différentes contradictions de ce que nous devrions douloureusement appeler notre mal développement, notamment économique et ce, à compter de la période d'industrialisation dite « industries industrialisantes » qui a abouti à un capitalisme d'Etat aux lieu et place de ce qui a été appelé socialisme spécifique et à un endettement excessif de l'Algérie, à une austérité imposée par les régimes successifs et par les institutions financières internationales, un affairisme d'Etat résultant du libéralisme débridé des tenants de l'après-pétrole qui a abouti au rééchelonnement, voire à asseoir des intérêts de ce qui a été désigné sous le vocable de mafia politico-financière.

De l'industrialisation au capitalisme d'Etat
Il est devenu banal de constater que l'Algérie vit pour l'essentiel de ses hydrocarbures, celles-ci constituant la presque-totalité de ses exportations. C'est également une lapalissade que de dire que le budget de l'Etat dépend quasiment du pétrole et du gaz. Aussi, devant l'échec moult fois constaté dans le domaine de l'agriculture et la baisse brutale des cours du pétrole, quel est l'avenir du pays face aux effets conjugués de ces facteurs ?
Marqué par un économisme technocratique, le projet de développement, basé sur la théorie des industries industrialisantes et celle de l'introversion, apparaît, a posteriori, comme une idéologie caractérisée par la mise en place de la propriété d'Etat comme moyen d'accéder à une « transition au socialisme ». Pour le régime issu du 19 juin 1965, l'Etat se révéla la seule force politique capable de résoudre les problèmes qui se posent : industrialiser le pays et garantir l'indépendance nationale. Or, on sait que la doctrine algérienne des années 1970 en matière de développement s'inspira de travaux d'économistes dont la vision se rapprochait des auteurs soviétiques des années 1920-30 qui étaient partisans de « la loi de la priorité du secteur de la production des biens de production », du principe des « effets d'entraînement » et celui des « chaînons conducteurs » qui posèrent comme règle impérative l'instauration d'inégalités dans les rapports villes-campagnes dans sa thèse sur l'«accumulation socialiste primitive ».
Les industries industrialisantes étaient censées avoir pour effet d'entraîner dans leur environnement localisé et daté un « noircissement systématique ou une modification structurelle de la matrice interindustrielle » et des transformations des fonctions de la production grâce à la mise à la disposition de l'entière économie d'«ensembles nouveaux de machines qui accroissent la productivité de l'un des facteurs et la productivité globale ». Cependant, d'aucuns ont pu observer que ce modèle n'intégrait pas explicitement l'état initial des forces productives. Par ailleurs, des questions essentielles restaient pendantes : qui était susceptible de mener à son terme la transition vers le « socialisme spécifique » ? Avec quels moyens ? Avec quelle marge de manuvre laissée tant par le Pouvoir en place lui-même que par le capitalisme mondial (encore que, à l'époque, celui-ci était quelque peu contrebalancé par le système des pays de l'Est) ? Cette problématique a été éludée par la tendance au technocratisme et la bureaucratisation avec son pendant : la techno-structure. Or, l'une des particularités du développement du secteur d'Etat, c'est la tendance prépondérante à son financement par l'appel aux capitaux extérieurs ; d'où le problème de la dette dont on sait qu'elle est devenue la priorité à résoudre sous peine de condamner irrémédiablement l'économie algérienne et d'hypothéquer lourdement l'avenir du pays et des générations montantes.
En effet, la plus grande partie des projets à caractère industriel conclus entre 1970 et 1979 furent des projets qui se concrétisèrent en étroite collaboration avec le marché financier international et les sociétés multinationales, ce qui explique sans doute que le secteur économique d'Etat n'ait pu supprimer, comme il le souhaitait, le caractère capitaliste des rapports de production. De fait, entre le choix politico-idéologique et sa réalisation, il existe toute la distance qui sépare le discours de l'action tant les enjeux et les intérêts étaient importants, d'autant plus qu'il y avait une confusion fréquente entre formes juridiques de propriété et rapports de production. Et du fait de l'autonomie qui leur était concédée, il y a eu consolidation de la bourgeoisie spéculative, en collusion avec les divers groupes se trouvant à la tête de l'Etat en construction, à travers le pouvoir central mis en place par le Conseil de la révolution dominé par la direction de l'armée de l'époque. L'achèvement de la transition vers un capitalisme d'Etat périphérique en Algérie devint plus probante, la création de sociétés nationales ayant constitué l'acte de naissance de ce que d'aucuns ont désigné sous le vocable de « bourgeoisie d'Etat » qui, pour se justifier au plan idéologique, se gargarisa de « socialisme spécifique » et pour leurrer l'opinion publique interne.
En tout état de cause, si l'on se réfère aux textes à caractère officiel (les différentes résolutions des sessions du comité central du FLN et de la pratique politique et économique), on ne peut manquer d'observer que le régime inauguré par Chadli Bendjedid accentua cette tendance avec un nouveau discours centré sur un libéralisme débridé. En effet, depuis 1979, le FLN avait tenu plusieurs assises - sessions du comité central et congrès - en vue de la mise en place d'une nouvelle politique de l'Algérie, les résolutions et les orientations relatives au développement économique et social faisant état des carences de la politique économique conduite par le régime de Boumediène. Le trait caractéristique de l'attitude politique de Bendjedid fut la rupture d'avec l'idéologie socialiste ; celui-ci ne manqua pas d'ailleurs de s'affubler d'un certain libéralisme avec la promulgation d'un nouveau code des investissements donnant la part belle au secteur privé au motif qu'il aurait été brimé par l'ancien régime, alors même qu'il n'a pas manqué d'utiliser le secteur d'Etat en la personne de ses représentants pour grossir ses profits. En réalité, pour l'essentiel, il s'agissait d'organiser l'économie en perdition autour de ces deux secteurs. Ainsi, la doctrine économique des industries industrialisantes était mise au rancart. Au gigantisme industriel, on préféra la « restructuration », c'est-à-dire le morcellement des grandes entreprises d'Etat, type société nationale. Au slogan « Pour une vie meilleure », le « compter sur soi » est devenu le leitmotiv du Pouvoir, désemparé face à la chute des cours des hydrocarbures. Une opération de sensibilisation de l'opinion publique algérienne sur l'« après-pétrole » fut orchestrée par le Pouvoir, à grands renforts de médias, dans la mesure où les pronostics béats des technocrates et autres bureaucrates furent déjoués. Devant la faiblesse du marché pétrolier et la baisse des prix mondiaux du brut, le régime - qui se voila la face jusqu'à la dernière heure de sa chute devant les vérités les plus criantes sur les limites de la stratégie de développement adoptée jusqu'ici - reconsidéra celle-ci en tenant compte du fait que 98 % des ressources en devises du pays proviennent toujours du pétrole. Le régime fit volte-face pour tenter de se tirer d'affaire devant la baisse des recettes pétrolières et les difficultés d'écoulement du gaz. Ainsi, pour le ministre des Industries légères d'alors, Messaoudi Zitouni, il s'agissait de mettre l'accent sur l'« arrêt des intrusions de la politique dans la gestion de l'économie et la fin de l'Etat-providence ». Quant à Ali Oubouzar, alors ministre de la Planification et de l'Aménagement du territoire, il déclara : « Si les ressources pétrolières baissent de 15 ou même 20 %, nous devrons, pour maintenir le rythme de croissance, augmenter l'austérité. »
Seulement, la baisse fut plus forte que prévu. Malgré cela, M. Oubouzar n'hésita pas alors à dire : « Mais n'allons pas loin si nous ne voulons pas remettre en cause le consensus social. » Fallait-il donc se maintenir au pouvoir coûte que coûte, en évitant l'écueil des tensions sociales dues à la flambée des prix notamment ? Du fait du déficit flagrant en démocratie, le régime préféra faire appel à d'autres mesures (notamment la limitation de l'allocation touristique et la suppression d'achats de biens à l'étranger) plutôt que de faire son autocritique et préparer une alternance salutaire. En fait, le problème majeur concerna les biens d'équipement, les articles industriels, les matières premières et les produits semi-finis qui représentaient 79,60 % des importations (60 % du service de la dette extérieure). En outre, maints projets d'investissements industriels allaient être touchés, nonobstant la volonté affichée depuis 1979 d'accorder plus d'importance au secteur de l'agriculture par exemple. De même en était-il du métro d'Alger dont le chantier demeure en panne depuis, de l'usine d'automobiles de Tiaret mise en veilleuse faute d'entente avec les constructeurs français, allemands et italiens ainsi que du complexe sidérurgique de Jijel et du projet de cimenterie de Tébessa. Se conjuguent à cela également bien d'autres projets laissés en rade.
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* Avocat algérien, auteur. Paris

08-04-2004



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Date de création : 03/12/2004 @ 14:19
Dernière modification : 10/05/2008 @ 15:33
Catégorie : Articles à caractère politique
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